Écran philosophique

Alphaville, une rétroprojection

Mardi 13 janvier 2004 à 20 h 30

par Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien (théoricien) et épistémologue (expérimentateur), professeur émérite de l’université de Nice, et directeur de programme au Collège international de philosophie.

Alphaville , de Jean-Luc Godard (France - 1965 - 1h40)

Avec presque quarante ans de recul, ce film de Godard apparaît comme une (science-)fiction totalement démentie par la réalité contemporaine. Il ne nous en aide que mieux à interroger la technoscience d’aujourd’hui. Et c’est aussi (d’abord) un flamboyant film d’amour.

Jean-Marc Lévy-Leblond

« Alphaville » décrit une société contrôlée par les ordinateurs, en guerre avec les artistes, les penseurs et les amants. Agir « illogiquement » est considéré comme un crime. Des exécutions publiques ont régulièrement lieu. Comme dans 1984, le pouvoir tente de contrôller les esprits en modifiant le langage, dont certains mots comme « conscience » ou « amoureux » disparaissent chaque année du dictionnaire...
Godard emprunte les codes du film policier et de science-fiction pour traduire la peur de la déshumanisation et du pouvoir étatique. Lemmy, l’homme d’action, incarne le survivant de la poésie et de l’humanisme dans cette ville inquiétante filmée dans un noir et blanc expressionniste particulièrement travaillé.

extraits des dialogues du film :

« Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale ».

« Alphaville, c’est une société technique, comme celle des termites ou des fourmis. »

« Autrefois, il y avait des artistes, des romanciers, des musiciens, des peintres... Aujourd’hui, plus rien !... »

« Presque tous les jours, il y a des mots qui disparaissent. Alors à la place, ou même pas forcément, on met des nouveaux mots qui correspondent aux idées nouvelles. D’ailleurs, depuis 2 ou 3 mois, il y a des mots que j’aimais beaucoup qui ont disparus : rouge-gorge, pleurer, tendresse… »

La philosophie technocratique et élitiste de « Alpha 60 », le super-ordinateur qui dirrige Alphaville :

« Dans la vie des individus comme celle des nations, tout s’enchaine et tout est conséquences.

Le principe d’Alpha 60 est de calculer et de prévoir les conséquences auxquelles Alphaville obéira ensuite. »

« Nous ne savons rien. Nous enregistrons, nous calculons, et nous tirons les conséquences. »

« Une seule instruction n’est en général pas suffisante pour permettre l’exécution d’un travail en Alpha 60. »

« Les hommes ordinaires sont indignes de la position qu’ils occupent dans le monde. En analysant leur passé, on est automatiquement conduit à cette conclusion : il faut donc les détruire, c’est à dire les transformer. »

« Ne croyez pas que c’est moi qui opère cette destruction, ni les hommes de science qui ont accepté mon Plan. »

« Ceux que vous appelez les mutants forment une race supérieure à l’homme ordinaire que nous avons presque éliminé. Je calculerai pour que l’échec soit impossible. Tout ce que je projette s’accomplira… »

« Il ne serait pas logique d’empêcher des êtres supérieurs d’envahir le reste des galaxies. »

Informations

Au cinéma Georges-Méliès
Centre commercial de la Croix-de-Chavaux
93100 Montreuil

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