Écran philosophique

Le Fantôme de la fiction

Mardi 9 décembre 2003 à 20 h 30

par Thierry Viguier , enseignant en philosophie à Bourges.

L’aventure de madame Muir , de Joseph L.Mankiewicz (USA - 1947- 1 h 40- VO)

Le fantastique dans "L’aventure de madame Muir" se veut très sobre dans ses effets. À vrai dire, il n’y a pas d’effets spéciaux. Tout au plus, nous assisterons à une disparition par transparence qui elle-même reste très rudimentaire. Pour le reste, toutes les apparitions ou disparitions se font essentiellement grâce à la magie du montage ou des mouvements de caméra. Et c’est cette simplicité, occultant l’esbroufe, qui donne justement un cachet réaliste à la merveilleuse histoire qui nous est contée.

Portant le deuil, Madame Muir vit avec sa belle famille. N’en pouvant plus, elle décide de partir vivre seule avec sa fillette au bord de la mer. Grâce aux actions de son mari, elle peut envisager un avenir modeste mais sans ombrage en louant une petite maison. Elle tombe sous le charme d’une bicoque ayant appartenu au capitaine Gregg. Mais, si le marin est mort et enterré, son esprit rôde toujours dans la maison !

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Affiche
L’aventure de madame Muir

Fils d’émigrant allemand, Joseph L. Mankiewicz se lance dans le journalisme et devient correspondant en Allemagne pour un journal américain. Il participe à la rédaction des intertitres de quelques films muets allemands. Pendant ce temps, Herman J. Mankiewicz, est passé du statut de critique théâtral à celui de superviseur des scénarios à la Paramount. C’est ainsi qu’il propose à son frère de venir écrire pour la maison de production américaine. Il y écrit des scénarios et passe à la réalisation tout à fait par hasard. C’est ainsi qu’il remplace au pied levé Ernst Lubitsch indisposé et met en scène son propre scénario sur LE CHATEAU DU DRAGON où il dirige Vincent Price et Gene Tierney. Il retrouve justement cette dernière dans L’AVENTURE DE MADAME MUIR. Il continuera sa carrière par la suite pour s’affirmer comme l’un des grands réalisateurs Hollywoodiens jusqu’à la mise en scène de l’écrasant CLEOPATRE où il dirigera une fois de plus Rex Harrison aux côtés de Elizabeth Taylor et Richard Burton.

Gene Tierney et Rex Harrison ne sont pas des acteurs qui auront réellement marqué le cinéma fantastique tout au long de leurs filmographies. Pour Rex Harrison, on citera essentiellement la fantaisie musicale DOCTEUR DOLITTLE. Le troisième acteur à partager la vedette dans L’AVENTURE DE MADAME MUIR est déjà bien plus connu dans le domaine, ne serait-ce que pour son rôle de professeur dans LE VILLAGE DES DAMNES. Enfin, la toute jeune comédienne qui interprète la fille de Lucy Muir n’est autre que Natalie Wood bien avant qu’elle ne donne la réplique à James Dean dans LA FUREUR DE VIVRE ou ne pousse la chansonnette dans WEST SIDE STORY. En matière de fantastique, elle apparaît dans METEOR et malheureusement décède avant de pouvoir terminer BRAINSTORM.

Il serait difficile à présent d’imaginer L’AVENTURE DE MADAME MUIR sans la conjonction de tous les talents évoqués. Et pourtant, bien avant que Ernst Lubitsch soit obligé de laisser sa place de réalisateur à Joseph L. Mankiewicz, il fut question de confier le film à John Malcolm Stahl et ce sans Gene Tierney puisqu’à ce moment-là une autre actrice fut pressentie pour le rôle. Finalement, cela ne s’est pas fait et pourtant une vingtaine d’années après la réalisation du film, la télévision adapta le concept pour le petit écran. Plus question de prendre les acteurs d’origine qui seront alors remplacés par Hope Lange et Edward Mulhare. Ce dernier ayant marqué une autre série télévisée en jouant le rôle du patron de Michael Knight dans K-2000. L’AVENTURE DE MADAME MUIR est une comédie dramatique particulièrement bien écrite. Les passages humoristiques abondent dans la première partie du film où la nouvelle occupante de la maison apprend à découvrir son hôte fantomatique. Dialogues enlevés et situations amusantes donnent un air léger à ce que l’on pourrait prendre de prime abord comme une simple comédie romantique. Cela se complique dans la deuxième partie du métrage et la rencontre d’un personnage cynique et charmeur. Écrivain pour enfants, il l’avoue lui-même il n’aime pas les marmots. Devant la beauté de Gene Tierney, le beau parleur profite de la naïveté de sa victime. Et même si le métrage se clôt par un semblant de happy-end, le film ne sacrifie pas son sujet à la facilité pour caresser le spectateur dans le sens du poil. De même que l’on peut s’interroger sur la réelle existence d’un spectre dans la maison. Une discussion entre mère et fille, à la fin, laisse encore planer un doute qui sera plus ou moins prononcé selon l’envie du spectateur.

Le fantastique dans L’AVENTURE DE MADAME MUIR se veut très sobre dans ses effets. À vrai dire, il n’y a pas d’effets spéciaux. Tout au plus, nous assisterons à une disparition par transparence qui elle-même reste très rudimentaire. Pour le reste, toutes les apparitions ou disparitions se font essentiellement grâce à la magie du montage ou des mouvements de caméra. Et c’est cette simplicité, occultant l’esbroufe, qui donne justement un cachet réaliste à la merveilleuse histoire qui nous est contée.

Antoine Rigaud

Informations

Au cinéma Georges-Méliès
Centre commercial de la Croix-de-Chavaux
93100 Montreuil

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