Résidence

Armand Gatti

Saison 1997-1998

Premier voyage en langue maya

Pour son 30e anniversaire, la Maison populaire accueil en résidence Armand Gatti, auteur, metteur en scène, cinéaste et journaliste.

Premier voyage en langue maya hommage à Otto-René Castillo ?








Photos réslisées par Véronique Guillien, photographe ©

Elle s’inscrit dans la manifestation “Premier voyage en langue maya” présenté dans le département, accompagné de cinq hommages, en collaboration avec la Parole errante et la Maison de l’arbre. La Maison populaire rend hommage au poète révolutionnaire guatémaltèque Otto René Castilllo, "mort au combat".

Avec la pièce de théâtre "Retour à la douleur de tous" d’Armand Gatti, mise en scène par Patrick Coffin.
Pièce-dialogue entre plusieurs poètes guatémaltèques dont les mots leur ont coûté la vie.
Avec la participation de Jérémie Alban-ZAPATA, Camille Clavier, Sandrine Garbuglia, Jôel Gritti, Alix Gritti-Roque, Jean-Michel Marie, Sylvie Roque, Rosa Rougeot, Christophe Trousselier, Isabelle Trappo.

"Si être poète est une conduite morale, il doit écrire comme il pense, vivre comme il écrit, il doit s’engager avec son peuple, avec ses luttes, avec la Révolution". (O.R.Castillo)


Pourquoi un hommage à Otto-René Castillo ?

Il y a 10 ans de cela, Armand Gatti se tourne vers les mots d’Otto René Castillo, Il écrit Retour à la douleur de tous, une pièce-dialogue autour des mots du poète. Il essaye alors de dire le génocide en cours au Guatemala, Aujourd’hui, les accords de paix ont été signés dans ce pays mettant fin à la guerre de 30 ans. La situation n’est plus la même, les questions ne se posent plus de la même façon, Comment Armand Gatti retrouve-t-il, au sein de l’aventure qu’il est en train de mener cette année, la présence d’Otto-René Castillo ? Quelle conscience le poète guatémaltèque peut-il nous apporter quant à la question de l’indianité que nous sommes venus poser ? Et comment nous situer à l’intérieur des mots qui furent les siens ? Pour nous, il sera le relais - le témoin - que nous voulons devenir, à notre tour. La possibilité d’une parole qui se transmet pour continuer à questionner le monde qui nous entoure, Comment a-t-il lui-même interrogé le monde indien, non seulement à travers ses poèmes, mais également à travers ses engagements politique ? C’est avec les mots du guérillero qu’Otto René entre dans ce que sera pour nous le Premier voyage en la langue maya ; ces mots, répondu à César Montés lorsqu’un jour ce dernier lui demanda :
« Et vous croyez que vous allez mettre nos combattants, rompus à l’art du combat, endurcis par les affrontements et les difficultés, à faire du théâtre en laissant pour après l’usage des armes ? »
Le poète répondit sans hésiter :
« Je crois pouvoir faire avec le théâtre de la guérilla, ce qui ne pourra jamais s’obtenir avec des balles. »
Sous la force de l’argument, César ne trouva aucune réponse. Otto continua :
«  Les balles de tes combattants font tomber l’adversaire, sans possibilité de dialogue. Mais le théâtre dont je rêve, peut provoquer des changements en profondeur dans la mentalité du peuple, dans sa formation citoyenne, et sa participation à la vie de la cité. Et j’ai la certitude que ceci ne s’obtiendra jamais avec un fusil ! Je te propose d’user la force de nos combattants au profit du verbe. Rassembler la population, et lui présenter des œuvres théâtrales "conscientisantes". Le théâtre pour approfondir et simplifier l’intégration populaire, au projet politique. Un projet politique ainsi intégré ne pourra que servir les intérêts propres du peuple. Précisément le type de théâtre que la société bourgeoise ne nous permettra jamais de représenter. Pour nos guérilleros, le danger sera le même. Le verbe au coût de nos vies. Le verbe, arme aussi dangereuse pour les classes dominantes, que nos vieux fusils ».
Les mots d’Otto-René Castillo ici présents, lorsque de chaque guérilla, il a voulu faire un théâtre, un lieu de paroles. Ce que l’on fait, se voudrait la réponse à cette tentative.

Dix dates pour dire Otto-Rene Castillo

1936 : Naissance de Otto-René Castillo à Quetzaltenengo Guatemala.
1954 : Otto-René est président des étudiants de postprimaires, Il est également activiste du Parti guatemaltèque du travail. Il fait alors divers métiers à El Salvador : peintre en maçonnerie, veilleur de nuit, vendeur de livres.
À 18 ans, il s’exile au Salvador avec d’autres révolutionnaires guatémaltèques. Il entre à l’Université nationale du Salvador, Il commence à écrire des poèmes révolutionnaires qui déjà attirent l’attention de cercles culturels à El Salvador.
1955 : Un exil dans un pays voisin lui est très fécond puisqu’il lui permet de consolider ses connaissances et convictions politiques par d’étroits contacts avec le P. C. Salvadorien.
Il reçoit le prix Centro Américain de Poésie, Son écriture commence à se nourrir de la douleur de son pays, elle se fait appel combatif et hommage aux Indiens (ce qui à l’époque est le souci d’une minorité).
Le cercle littéraire universitaire auquel il participe au sein des universités contribue à faire connaître beaucoup de poètes révolutionnaires ayant influencé la génération dite "engagée". Il s’agit de Nazim Hikmet, Miguel Hernandez, César Vallejo, Pablo Neruda.
1957 : Retour au Guatemala, Otto-René y poursuit des études de Droit et de Sciences Sociales à l’Université de San Carlos, Intense activité politique et culturelle, fondation de la revue Lanzas y letras qui, avec celle de Jose Maria Lopez Valdizon : Presencia, est le porte-parole d’une jeunesse peu satisfaite du gouvernement d’Ydigoras Fuentes.
Prix International de Poésie accordé, à Budapest, par la Fédération mondiale des jeunesses démocratiques.
1958 : Otto-René est déclaré meilleur étudiant et obtient une bourse pour étudier les lettres à l’Université de Leipzig (ex. R. D. A.).
1962 : Séduit par la personnalité de Joris Ivens, Otto-René abandonne l’Université et entre dans la brigade du cinéaste Hollandais qui s’est fixé pour objectif de filmer les luttes de libération des peuples latino-américains opprimés et exploités. Peut-être faut-il voir dans ce premier pas d’Otto-René vers la lutte armée l’impact que dût produire sur lui la tentative de coup d’État du 13 novembre 1960 ; ce soulèvement d’officiers et sous-officiers nationalistes contre Ydigoras, par trop lié aux contre-révolutionnaires cubains, avait débouché sur la première guérilla au Guatemala.
Par ailleurs, la R. D. A., Berlin, Leipzig, lui inspirent des poèmes regroupés dans Le Véritable Miracle Allemand, recueil où il exalte la renaissance de cette terre, le volontarisme de son peuple face à l’adversité, la capacité de lutte et d’espoir de ces hommes et ces femmes.
1964 : Retour au pays. Retour à la douleur de tous. Otto-René codirige un journal étudiant, fonde le Théâtre expérimental de la municipalité et participe à l’activité clandestine, liée à la lutte armée. Tout cela mis ensemble finit par attirer I’attention du régime sur lui.
1965 : Nouvel et dernier exil, Otto-René Castillo est déporté. Il parcourt l’Algérie, l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, Chypre et, Cuba. Un an après, retour au Guatemala pour s’incorporer à la guérilla des F. A. R. dirigée par César Montés.
1966 : Retour clandestin au Guatemala, Contre la volonté de César Montés, Otto-René rejoint les rangs de la guérilla dans la Sierra de Las Minas.
1967 : En mars, blessé au combat, Otto-René Castillo est capturé et conduit à la base militaire de Zacapa où il est torturé, mutilé et brûlé vivant, sans dénoncer ses compagnons, Il a 31 ans, Son œuvre littéraire a commencé à se faire dans l’adversité, ou en exil. Elle s’est poursuivie comme combat contre les restaurateurs du passé obscur.
Otto-René Castillo incarne, en littérature et en politique, un mouvement en rupture avec les traditions de l’époque. Il va introduire dans la poésie ainsi que dans la vision politico-culturelle, une nouvelle manière de traiter le problème de l’Indien exploité.
Pour Otto-René, il fallait re-examiner totalement les concepts de nationalité à partir des racines culturelles ancestrales, et en invoquant la potentialité révolutionnaire de la population indienne.
Autre dimension qui travers I’œuvre et la vie d’Otto-René l’engagement politique. Il ne suffit pas d’avoir une conscience politique, il faut que cette conscience se traduise par un engagement concret. Il fait sienne la phrase de Miguel Angel Asturias, "le poète est une conduite morale".
Un autre aspect important dans I’œuvre et la vie d’Otto-René est sa compréhension de l’amour, Il ne s’agit pas ici d’une simple exaltation de la relation homme-femme, mais de la réaffirmation constante du sentiment de la vie confronté à l’injustice, la misère, la mort.
Nombreux sont les poèmes où il s’adresse à Karen, sa femme, rencontrée en Allemagne. Avec elle, il aura deux enfants, Le moment de la rupture l’a profondément marqué,« RETOUR À LA DOULEUR DE TOUS »

Je suis revenu
après cinq ans.
Et la rue était seule pour moi.
Ce vieux vent
que je connais depuis mon enfance
caracola un peu dans mes cheveux
et il resta là dressé et joyeux,
Peut-être pour fêter mon retour.
Quant aux amis
on ne pouvait en voir aucun.
Presque tous sont pareils,
me dit-on vaguement,
mais leur peau
est maintenant plus pesante.
Presque tous également
travaillent dans l’ombre,
donnant par leur vieillesse
un dur et amer témoignage
de leur lutte.
Quelques uns, cependant,
se sont lassés et ils ont tourné
le dos au peuple et à leur orgueil.
Pour pouvoir manger et dormir mieux
ils se sont dépouillés d’eux-mêmes,
misérablement ils sont devenus
le vers qu’ils détestaient
et maintenant ils rampent,
sous terre, parmi les charognes
dont ils se gavent
côte à côte avec les fauves.
Malgré tout,
ils sont peu nombreux les traîtres,
ceux qui, un jour,
trembleront
face à la furie
multiple
du peuple
et ils demanderont pardon
et ils seront durement,
immanquablement
et justement
châtiés
parce qu’eux
ils ont toujours su
ce qu’ils faisaient.
Je suis revenu
après cinq ans
et personne
n’a pu venir m’accueillir.
Même pas ceux
pour qui j’ai vécu
luttant et criant :
« Vous êtes grands
puissants et, unis, vous pouvez
rendre cette vie plus insupportable.
Soulevez-vous ! »
Eux, non plus, ne se souviennent plus
de moi.
Mes compatriotes
souffrent et souffrent encore,
quotidiennement.
Peut-être aujourd’hui
un peu plus que jamais.
Je suis revenu, dis-je.
Et je suis ici
pour continuer le combat.
Et même si,
parfois,
d’autres lunes
plus lointaines et plus belles
me brûlent la peau, je resterai avec vous tous,
pour souffrir avec vous tous,
pour lutter avec vous tous,
pour vieillir avec vous tous.
À son retour,
diront, plus tard, les hommes,
il n’y eut rien ni personne
si ce n’est la rue seule
et ce vieux vent
qu’il connût dès son enfance,
il y a déjà tant d’étoiles,
tant et tant de pluies.« VISAGE COMMUN »
Aujourd’hui je palpe joyeusement un visage
formé de visages minuscules :
je palpe le grand visage commun.
Je vois visage et visage qui cheminent,
 comme deux tempêtes ennemies
allant à la rencontre de la foudre -
vers l’aigu visage père
formés d’hommes silencieux
qui ont pour demeure la faim, pieds nus
de baisers, de souvenirs et de désirs.
Le grand visage commun chemine
tel un homme gigantesque
fait de peuple et de printemps,
d’acier et de sang,
d’aurore et de larmes martyrisées en vain...
Tu ne sais pas,
ma délicate ballerine,
l’amère saveur à deuil
qu’a la terre
où fume mon cœur.
Si quelqu’un frappe à la porte,
tu ne sais jamais si c’est la vie
ou la mort
celle qui demande
une aumône.
Si tu sors dans la rue,
il se peut que jamais plus
les pas retournent
franchir le seuil
de la maison où tu vis.
Si tu écris un poème,
il se peut que demain
il te serve d’épitaphe.
Si la journée est belle
et que tu ries,
il se peut que la nuit
te retrouve dans une cellule.
Si tu embrasses la lune
qui caresse ton épaule,
il se peut qu’un couteau
de sel naisse à l’aube
dans tes pupilles.
Amère saveur à deuil
a la terre où je vis,
ma douce ballerine.
Tu sais,
je crois que je suis retourné
dans mon pays
seulement pour mourir.
Et en vérité
je ne le comprends pas encore.

Informations

Cet hommage sera accompagné par une exposition.
Photos réslisées par Véronique Guillien, photographe ©

Lundi 22, mercredi 24, vendredi 26 et mardi 30 juin à 20h30

à la Maison Populaire, 9bis, rue Dombasle - M° Mairie de Montreuil.
(Réservation obligatoire au 01 42 87 08 68)

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