Rien n’est obligatoire ou catégorique en art
Juin 2007
À la rencontre de l’œuvre...
L’appellation « art contemporain » désigne l’art depuis les années 1980, ce n’est pas un style en soi tant la production artistique actuelle est diverse. Dans les années 1980, les artistes se détournent du modernisme pour entrer dans la post-modernité. Si le modernisme était une course à la nouveauté, le postmodernisme se caractérise par une appropriation des formes préexistantes, qu’elles soient issues de l’histoire de l’art ou de la vie quotidienne.
« Moderne » et « post-moderne » sont des appellations trouvées par les historiens de l’art, cela ne reflète pas forcément la réalité qui a de multiples facettes. Durant l’époque moderne et depuis toujours, on a cherché à faire du nouveau tout en s’inspirant des anciens. Nous n’avons jamais été modernes, nous avons toujours été postmodernes, et inversement.
Rien n’est donc obligatoire ou catégorique en art.
L’art ne fait pas non plus partie du monde de la mode, d’ailleurs, même les plus éminents spécialistes ont bien du mal à déceler des courants, des mouvements et à faire des généralités sur la création actuelle, l’histoire s’écrit toujours avec un temps de décalage. Ce temps nécessaire pour théoriser l’art permet aussi de légitimer les artistes, certaines œuvres qui sont exposées aujourd’hui dans les centres d’art le seront un jour dans les grands musées. Il en a toujours été ainsi de la reconnaissance des artistes, ils ne sont pas admis par le plus grand nombre à leur époque, les impressionnistes à leur époque étaient rejetés, alors qu’aujourd’hui leurs images sont parmi les plus reproduites.
Cependant on observe qu’il y a beaucoup d’a priori sur l’art aujourd’hui, beaucoup de préjugés, certaines œuvres qui ont plus de cent ans continuent de choquer. N’est-ce pas le rôle même de l’art que de questionner, de bouleverser, renverser, troubler, bousculer... en somme de nous donner à penser ? À ce titre, l’artiste n’a pas la place qu’il devrait dans la société. Tel ou tel chanteur à succès, ou autre starlette ont plus de tribune et d’espace pour exprimer leur point de vue. Si l’art est le miroir de la société, son absence dans les médias est problématique, l’art contemporain est totalement inconnu du grand public, on voit Lorie au journal télévisé, mais aucun plasticien.
Alors sans avoir jamais appris à regarder, comment recevoir les œuvres et les comprendre ? Qu’est ce qu’une œuvre, qu’est ce qu’une exposition ? Y’a t-il un « code » à déchiffrer, une « clef » à trouver ?
Une expérience d’altérité...
L’art est un mélange de concept d’affect et de percept, c’est une expérience, une altérité. Toute œuvre de l’esprit résulte d’une pensée construite, il y a ce qui est dit et comment c’est dit, le signifié et le signifiant. Dans une œuvre réussie, la forme et le contenu sont en adéquation, sans toutefois être trop littérale. Si l’art est un langage, il s’agit pour l’artiste de « parler » avec des formes, des matières, des couleurs. Cependant, même si une œuvre contient un discours philosophique, elle ne se lit pas comme un texte, ou alors elle doit se lire comme un poème, l’œuvre est aussi support au rêve. Cette adaptation parfaite entre le « message » et la manière dont il est exprimé est ce qui différencie l’œuvre d’art d’une production « amateur » ou d’un travail d’étudiant.
L’art est aussi un milieu professionnel, les historiens de l’art, critiques et commissaires d’exposition sont les spécialistes qui interviennent dans le système de reconnaissance des œuvres et des artistes. Le marché de l’art est le fruit de ce système de légitimation. Un artiste est soutenu par un commissaire qui va exposer son travail, d’autres curateurs vont voir les œuvres, les apprécier, les montrer... Plus l’artiste est exposé plus sa cote sur le marché augmente.
Une œuvre d’art est un travail, elle est le fruit d’une réflexion parfois longue de plusieurs années et fait partie de l’œuvre-vie de l’artiste. Cette recherche commence pendant les études des Beaux-arts qui peuvent durer aussi longtemps que médecine. L’art impose le respect car le monde n’existe que parce qu’on le re-présente.
Une œuvre peut être poétique, politique, philosophique, totémique, etc, le but n’est jamais pédagogique mais toujours de faire sens. Ce sens n’est pas arrêté, il n’y a pas une vérité sur l’art, il y a des définitions de l’art, des histoires de l’art. L’esthétique qui est la philosophie de l’art était à son origine l’étude du beau, aujourd’hui cette discipline est un véritable questionnement, l’art contemporain est pluriel, complexe, c’est un champ de discussion, de divergences.
Une mise en espace pour produire du sens...
Une exposition d’art contemporain est composée de plusieurs œuvres, d’un seul artiste dans le cas d’une exposition personnelle, ou de plusieurs artistes dans le cas d’une exposition de groupe. Ces œuvres sont mises en espace de manière à produire du sens, c’est la scénographie. Chacune des œuvres est en elle-même une constellation de significations, leur regroupement dans l’espace d’exposition est aussi producteur de sens. Une exposition est la combinaison du visuel et du discours, du perceptif et du sens. Une exposition est avant tout une expérience perceptive, elle doit être un événement visuel cohérent, elle doit tenir par des liens plastiques, les relations spatiales et les données physiques des œuvres. Les œuvres produisent des sens et des ambiances différents selon les relations et interactions avec celles qui les avoisinent, elles dialogues entre elles.
La vision du visiteur est d’abord synthétique et globale, il s’agit de le mettre en disposition de regarder l’œuvre, l’exposition est une captation. Si l’exposition est d’abord une expérience visuelle, elle doit tout de même garder un certain équilibre entre pensée et sensation physique, il ne s’agit pas uniquement d’une recherche d’efficacité plastique ou d’effet.
Le commissaire d’exposition produit un discours complémentaire de celui déjà présent dans l’œuvre, il doit donc exprimer son propre regard tout en veillant au respect des œuvres, des artistes, de ce qu’ils mettent dans leurs œuvres et de leur historicité. Certaines expositions font date dans l’histoire de l’art et sont emblématiques de certains mouvements. Depuis les expositions d’Harald Szeeman ou celles d’Eric Troncy, les commissaires d’exposition sont considérés comme auteurs, ils choisissent les œuvres et les artistes et les mettent en espace de manière à faire sens, les expositions sont donc des œuvres.
Voir une œuvre d’art...
Apprendre à voir commence par la curiosité et le goût de la découverte. Regarder une œuvre d’art est une expérience individuelle qui produit une émotion, laquelle conduit à la réflexion. L’expérience esthétique est d’abord sensitive, perceptive, puis intellectuelle, elle conduit à un savoir. Comme toute expérience, une œuvre d’art renouvelle notre perception du monde, elle nous change. Les œuvres d’art contemporain ne se donnent certes pas immédiatement, écouter l’œuvre c’est d’abord ménager un temps pour laisser vagabonder son esprit, son imaginaire, sa sensibilité. Faire des associations d’idées, des fondu-enchaînés de plusieurs pensées, des liens avec d’autres œuvres, d’autres artistes, d’autres domaines, la vie quotidienne, permet de rebondir sur des concepts plus larges, des notions collectives, etc. Penser c’est faire des rapprochements inédits. Ainsi, développer un point de vue, cela commence par la description, de là découle la construction d’un jugement argumenté au-delà des idées préconçues. Il n’y a pas de vérité sur une œuvre mais toujours un questionnement, une critique est toujours discutable.
Le sens d’une œuvre n’est pas arrêté, c’est la poétique de l’œuvre ouverte. Il y a une indétermination, une incomplétude de l’œuvre qui échappe à son créateur dès lors qu’elle est montrée. Le spectateur se l’approprie et l’enrichit de ses réflexions et interprétations personnelles. Connaître les intentions de l’artiste, le contexte de création de l’œuvre, l’histoire de l’art est « un plus » qui n’est pas obligatoire.
Pour apporter ces éléments d’informations complémentaires, des médiateurs culturels sont présents dans les lieux d’art contemporain, ils accompagnent ceux qui le souhaitent dans leur visite. La vocation ultime du médiateur est sa disparition ! À chacun de laisser libre son esprit face à l’œuvre, de la faire sienne.
Pour savoir il faut tenter de voir, pour savoir il faut imaginer. Lâcher prise, regarder l’œuvre et se laisser regarder par elle.
Informations
de E.B
Réponse à l’article « Regard sur l’art contemporain » paru dans le numéro précédent des infos de la Baleine.